Portrait d'Alexandra Jolivet, mécanicien-avion © Copyright Alex Jolivet

Portrait d'Alexandra Jolivet, mécanicien-avion


Daphné Desrosiers
| 28/02/2019 | 2247 mots | AEROCONTACT | EMPLOI & CARRIÈRE

Non, vous ne rêvez pas, le petit lutin qui s’agite sous le nez de l’avion est bien une femme. Elles ne sont pourtant pas nombreuses à exercer cette profession et Alexandra Jolivet, au-delà des préjugés, s’est battue pour atteindre ses objectifs et parvenir à ses fins. Elle vous livre en exclusivité un parcours atypique, celui de mécanicien avion.

Du Falcon 10 au Boeing 777

Née à Brest, à proximité de la Base Aéronavale de Landivisiau, Alexandra se passionne rapidement pour les avions sans avoir vraiment l’intention d’orienter ses études vers le secteur aérien. Les Olympus 593 de Concorde bercent ses journées lorsqu’elle déménage en région parisienne mais ses pensées sont plutôt attirées par le programme spatial. Elle est avide d’informations et tout en lisant les avancées technologiques d’Ariane, les publicités des constructeurs aéronautiques implantent insidieusement le virus de la maintenance aéronautique.

« Rentrer dans les circuits et les systèmes d’un avion pour en comprendre le fonctionnement, est exactement similaire à la compréhension de l’incroyable complexité du corps humain. C’est à la fois amusant et passionnant ».

Elle réussit le concours de mécanicien dans l’Aéronavale. Direction Querqueville, au Centre d’Instruction Naval (CIN) pour y faire ses classes, Rochefort puis la « 57S » de Landivisiau afin d’obtenir son Brevet Elémentaire. Il faut travailler dur car l’échec est sanctionné par une exclusion définitive. Alexandra réussit brillamment et son choix à l’issue des examens se porte tout naturellement vers le Falcon 10 car elle veut travailler sur un avion à réaction. Retour sur la Base Aéronautique Navale (BAN) de Landivisiau où elle découvre un avion extraordinaire : « C’était une chouette petite bestiole. Le bloc de frein pèse à peine 7 kg et l’avion est truffé de trous de souris pour faciliter son entretien technique. Il est parfaitement adapté aux petits gabarits. Autant vous dire qu’il est idéal pour une femme. »

C’est aussi la prise de conscience des responsabilités et des enjeux. L’APRS ou Approbation Pour Remise en service, dès lors qu’elle est signée par un mécanicien habilité, est lourde de conséquences, aussi bien professionnelles que pénales.

« J’avais à peine 20 ans quand j’ai dû signer pour la première fois une APRS. Ma vie a pris une nouvelle tournure quand je me suis retrouvée seule en face du Falcon 10. Jusqu’à présent, nous travaillions en équipe sur des avions mais cette nuit-là s’est ajoutée la pression temporelle : l’avion devait réaliser une mission particulière. J’avais pourtant acquis de l’expérience mais en mon for intérieur, je constatais avec force l’impact de ma décision : déclarer si l’avion était apte au vol ou pas. Tout s’est bien déroulé. Ce fut une première expérience très dure psychologiquement sur le coup ».

                                                                         @Copyright Alex Jolivet

Le baptême du feu

Après sept années passées dans la Marine Nationale, Alexandra prend un nouveau cap, cette fois dans le monde civil en intégrant la compagnie nationale Air France. Un nouvel avion se profile, le Boeing 777. Elle passe deux mois et demi de formation où il faut apprendre les spécificités des systèmes avant de commencer les travaux pratiques. La formation est ardue mais une fois l’électronique embarquée maîtrisée, il faut débuter les travaux pratiques :

« Pour moi, ce fût un choc ! Lorsque j’ai rencontré pour la première fois le biréacteur, j’ai vécu un grand moment de solitude. Il était énorme. Je n’avais jamais vu de moteurs aussi gros de ma vie ! Finalement, je m’en suis très bien sortie malgré une première rencontre mouvementée. En effet, lorsque je suis intervenue sur le 777, c’était le jour où la tempête de Noël 1999 atteignait son paroxysme. Je me trouvais alors seule à l’intérieur du Boeing et la cabine vibrait dans un bruit de tonnerre. Des containers s’envolaient, des tôles s’arrachaient des hangars et certains avions étaient même soulevés par les rafales de vent. »

Les années Concorde

Alexandra Jolivet s’investit corps et âme dans tout ce qu’elle entreprend et sa passion l’entraîne irrémédiablement vers la restauration d’avions anciens. L’Association des Ailes Anciennes l’accueille en son sein où elle apprend beaucoup des bénévoles aux connaissances infinies. Breguet 1001 Taon, Sud-Est SE 5000 Baroudeur et Fiat G91 n’ont bientôt plus de secrets pour elle. Un appel à candidature avait été lancé en 1994 auquel Alexandra avait postulé afin de contribuer à la restauration du premier prototype Concorde 001 conservé au Musée de l’Air et de l’Espace du Bourget. Une fois la sélection et l’apprentissage réussis avec brio, Alexandra prend part à la renaissance de F-WTSS avec beaucoup d’amour. Air France lui offre l’opportunité de travailler sur les Concorde exploités par la compagnie. Elle quitte le Boeing 777 pour retrouver des circuits déjà bien connus. Elle navigue entre anciennes et nouvelles générations, s’adaptant au langage de chacun. C’est parti pour une qualification de type.

« C’était amusant car je passais d’une vraie pipelette vers un avion qui ne parle pas. La maintenance du 777, elle est simple quand on connaît très bien les systèmes et la documentation du constructeur. Par contre, avec Concorde, dès qu’un voyant s’allume, il faut rechercher l’origine de la panne avec le peu d’éléments dont on dispose. Il n’a aucun moyen de converser avec vous, contrairement aux avions modernes qui disposent d’interfaces. »

Un défi naît entre Marc P., ancien chef des entretiens du Musée de l’air et de l’Espace et Alexandra : maintenir en vie le tout nouvel arrivant offert par Air France au musée en juin 2003, l’illustre F-BTSD. Le mécanisme du nez basculant est régulièrement entretenu en réalisant les tâches ensemble, et naturellement, parviennent à « conserver le jus » ! Ils sont aux anges lorsque le Musée du Bourget, à l’occasion d’une soirée événementielle, les autorise à faire une démonstration officielle d’un salut subsonique.

                                                                                  @Alex Jolivet

Tu fais 560 tonnes et je pèse 63 kg. Pourtant c’est moi le chef !

Alexandra Jolivet découvre le 27 avril 2005 le premier envol de l’Airbus A380 à Toulouse Blagnac et c’est aussitôt le coup de foudre. Sa vie basculera neuf ans plus tard, lorsqu’elle change de cap et plaque tout pour devenir technicienne free-lance à l’étranger et se retrouve à passer la qualification de type du nouvel avion en 2014.

« Ce fut un an de souffrance. L’avion, gigantesque, ne se laisse pas facilement apprivoiser. Il est dur le pépère ! Au début, c’est ton meilleur copain. Mais la situation peut rapidement virer au cauchemar si l’on ne maîtrise pas parfaitement la documentation fournie par le constructeur. Pour cela, ce sont des milliers d’heures de travail et de révisions. J’ai relevé le challenge en planchant énormément et une fois le cap franchi, je me suis éclatée sur la machine. Il ne faut pas la comparer avec d’autres avion car elle a sa propre philosophie. Cela peut paraître paradoxal, mais il faut considérer l’Airbus 380 comme un être vivant à part entière. C’est une formidable réussite technologique qui m’a beaucoup appris, aussi bien humainement que physiquement. J’y suis très attachée mais il ne remplacera pas Concorde dans mon cœur. Travailler dans leurs entrailles respectives, c’est vraiment amusant en passant de l’un à l’autre car autant Concorde est minuscule et il faut se faufiler dans les trappes pour accéder aux pompes carburant, autant le 380 est gigantesque et son réservoir central, à côté, c’est une salle de bal ! ».

Il faut être humain et savoir être juste !

Alexandra Jolivet aime être au contact des avions, sur les pistes. Elle a essayé d’exercer dans un hangar mais elle a besoin de sentir le souffle des moteurs. C’est pourtant le même travail mais elle trouve son énergie vitale dans le ciel parcouru par les avions qu’elle laisse décoller après son inspection quotidienne. Le regard toujours tourné vers le ciel, elle partage, grâce à la photographie, son amour pour l’aérodynamique et les courbes majestueuses des avions. De l’Airbus A350 au Boeing 787 qu’elle trouve particulièrement photogénique, de Concorde et à « son gros » Airbus 380, elle nous fait rêver en jouant avec les filets d’air exposés à la lumière du soleil. Cette activité, qu’elle a commencé à pratiquer en famille dès son plus jeune âge, demeure aujourd’hui son passe-temps favori. Elle a l’art de saisir le moment opportun pour transmettre la magie du plus lourd que l’air. Elle n’hésite pas à se lever dès potron-minet afin de capturer la lumière idoine pour réaliser ses clichés. Elle s’évade également en montagne afin de conserver une musculature parfaite liée à son activité professionnelle et n’hésite pas à photographier de nouveaux modèles, moins rapides et beaucoup plus malicieux comme les écureuils ou les oies bernaches. Quand Alexandra voyage à bord d’un avion, elle choisit son siège près d’un hublot et son appareil photo à portée de main. Son cheminement n’a pas toujours été facile mais ses passions l’ont toujours conduite vers la réalisation de ses rêves :

« J’ai fait ce que j’ai pu avec les moyens dont je disposais. J’ai dû faire des choix dans ma vie, bons ou mauvais, et je me suis enrichie de mes erreurs. Il faut savoir s’imposer dans un univers masculin et avoir forcément du caractère, sinon, on se fait rapidement dévorer. Mais les relations humaines, une fois la confiance établie, sont indéfectibles et c’est aussi ce qui rend ce métier magique. »

                                                                                   @Alex Jolivet


 

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