Débris spatiaux : et si l'espace devenait bientôt inaccessible ?

Débris spatiaux : et si l'espace devenait bientôt inaccessible ?


Sabine Ortega
| 02/02/2024 | 3226 mots | AEROCONTACT | ESPACE

En orbite autour de la Terre, une poubelle géante se dessine. Des millions de débris spatiaux, provenant de satellites, de fusées et d'autres activités humaines, envahissent l'espace, menaçant l'avenir de l'exploration spatiale et la sécurité des astronautes. L'espace est-il en train de devenir le nouveau dépotoir de l'humanité ?

L’année 2023 a été marquée par la première amende sur les déchets dans l'espace. En effet, en octobre, le régulateur américain des télécommunications a infligé une amende de 150 000 dollars (environ 143 000 euros) à un opérateur satellitaire de télévision pour ne pas avoir respecté les principes de désorbitation corrects. Suivant le précédent établi par le régulateur américain, la surveillance de l’espace pour des raisons environnementales pourrait devenir encore plus stricte en 2024.

On s’en rappelle l’opérateur Dish avait ainsi écopé d’une amende pour n’avoir « pas correctement désorbité » un satellite nommé EchoStar-7, en orbite depuis 2002, selon un communiqué de la Commission fédérale des communications (Federal Communications Commission, FCC) : « Cela constitue une première en matière de régulation des déchets dans l’espace par la Commission, qui a développé ses efforts envers les satellites ».

Selon elle, Dish n’avait pas respecté l’altitude convenue avec la Commission pour placer son satellite géostationnaire qui arrivait en fin de vie. Cette altitude, plus basse que convenu, « était susceptible de poser des problèmes de débris orbitaux ». Dish s’était engagé en 2012 à remonter l’altitude du satellite à 300 km au-dessus de sa trajectoire opérationnelle. Mais avec la baisse du niveau de carburant, la compagnie s’était bornée à ramener son satellite à une altitude d’un peu plus de 120 km au-dessus de sa trajectoire.

Les chiffres

Depuis quelques années, l’inquiétude grandit autour des débris spatiaux. Pas moins de 15 000 satellites ont été lancés depuis 1957. Un chiffre conséquent, qui contribue en majeure partie à la pollution de l’espace. « En 2016, il y avait 1 000 satellites en orbite. Entre 2017 et 2019, on en a lancé 1 000 autres. Sur la seule année 2020, on en a lancé 1 000 de plus. Et en 2022, on en a envoyé 2 100… », indiquait en janvier 2023 au Monde, Juan Carlos Dolado, spécialiste des débris spatiaux et cofondateur, en 2022, de Look Up Space, société pour la sécurité spatiale.

On estime qu’il y a 9 600 tonnes de déchets dans le ciel. Selon les estimations de l’Agence spatiale européenne (ESA), 36 500 objets de plus de 10 cm, un million de morceaux entre 1 et 10 cm, et pas moins de 330 millions de particules mesurant entre 1 mm et 1 cm, sont présents dans l’espace. Ces débris, qui se déplacent à des vitesses pouvant atteindre plusieurs kilomètres par seconde, constituent une menace sérieuse pour les satellites et les astronautes.

La quantité de débris spatiaux est en constante augmentation. L'ESA estime qu'il y aura plus de 100 millions de débris de plus de 1 centimètre en orbite d'ici 2030.

La menace de se fermer la porte à l’espace et ne plus pouvoir envoyer de fusées ou engins spatiaux est donc plus qu’existante. Une problématique que les pays tentent de prendre en compte dans leurs calculs.

Les risques

Les débris spatiaux représentent un danger majeur pour les activités spatiales car ils peuvent endommager ou détruire des satellites, ce qui peut avoir des conséquences importantes pour les communications, la navigation et le climat et causer des blessures graves, voire mortelles, à un astronaute comme nous l’explique l’astronaute français Thomas Pesquet : « Les débris spatiaux constituent une menace sérieuse pour les astronautes. En tant qu'astronaute, je suis conscient de ce danger et je prends toutes les précautions nécessaires pour m'en protéger. »

Aussi, il est à noter que plus il y a de déchets et plus la réaction en chaîne est importante. Si la plupart du temps, ils finissent en poussière en entrant dans l’atmosphère, une autre partie reste au-dessus de la limite et met plusieurs années avant d’être détruit sans qu’on puisse prévoir avec exactitude le moment de leur destruction.

Ce phénomène de réaction en chaîne a été théorisé en 1978 par Donald J. Kessler, consultant à la Nasa. C’est donc tout naturellement que le nom de « syndrome de Kessler » a été donné à ce principe.

Il estime que plus il y aura de débris en orbite et plus ils vont heurter d’autres objets, qui vont eux-mêmes rejeter des débris dans l’espace. Une boucle sans fin. Avec une vitesse importante, ces objets peuvent alors engendrer des dégâts considérables. Ce qui oblige parfois la station spatiale internationale (ISS) ou certains satellites à changer leur trajectoire pour éviter tout contact. « Cela coûte chaque année des milliers d’euros aux sociétés, et c’est de plus en plus régulier », note Jacques Arnould, historien des sciences et chargé des questions éthiques au Centre National d’Études Spatiales (CNES).

En décembre 2022, une capsule Soyouz MS-22 arrimée à la Station spatiale internationale (ISS) avait été endommagée par l’impact d’une petite météorite. Un satellite chinois avait été frôlé début 2022 par des débris d’un satellite russe détruit l’année précédente lors d’un incident « extrêmement dangereux » selon Pékin. Sur les 14 000 satellites en orbite, environ 35 % ont été lancés au cours de ces trois dernières années et 100 000 autres sont attendus dans la décennie à venir, toujours selon l’ONU.

Aussi, les lanceurs figurent parmi les plus gros objets dans l’espace et posent donc un risque élevé d’être impliqués dans des collisions catastrophiques. De nombreuses mesures sont prises pour qu’ils ne restent pas en orbite plus de 24 heures après le lancement.

En novembre 2022, le retour de débris de Long March 5B, une fusée chinoise, avait provoqué la fermeture d’une partie des espaces aériens espagnol et corse. En 2020, des morceaux de ce même lanceur chinois se sont écrasés près d’un village de Côte d’Ivoire, sans faire de blessés.

A l’heure actuelle, un des plus gros débris spatiaux en orbite est le satellite en panne EnviSat, qui pèse huit tonnes et qui pourrait continuer de tourner autour de la Terre pendant 150 ans.

Les mesures

Jean-Yves Le Gall, président du Centre national d'études spatiales (CNES) déclarait à ce propos : « La pollution spatiale est un problème majeur qui menace l'avenir de l'exploration spatiale. Il est important de prendre des mesures pour lutter contre cette pollution, afin de garantir la sécurité des activités spatiales. »

C’est pour répondre à cette problématique que Privateer, l’entreprise de Moriba Jah, professeur d'ingénierie aérospatiale et d'ingénierie mécanique à l’Université de Texas, en collaboration avec Neo4j, a développé une base de données de graphes nommée Wayfinder qui suit plus de 26 000 objets en orbite proche de la Terre. En effet, Wayfinder repose sur un graphe de connaissances Neo4j où sont stockées toutes les informations sur les objets dans l'espace provenant de différents pays, d'entreprises, d'autres chercheurs scientifiques, d'astronomes amateurs de télescopes, etc… Et, la grande majorité de ces objets ne sont que des déchets comme nous l’explique le professeur : « Nous suivons plus de 26 000 objets dans l'espace, d’un téléphone portable à la station spatiale américaine. Malheureusement, parmi ces 26 000 objets, ils n’existent que 3 500 à 4 000 objets qui fonctionnent et fournissent un service quelconque, comme la navigation de position ou la synchronisation avec les systèmes mondiaux de navigation par satellite. Le reste ? Tous ces objets sont des déchets »

C’est en se dotant de la technologie de Neo4j, leader des bases de données de graphes et d’analytique, qui aide les entreprises à identifier facilement et rapidement des modèles et des relations jusque-là invisibles entre les données sur des milliards de connexions, que Privateer s’est donné pour mission de protéger l’espace selon Moriba : « Au cours de sa durée de vie, un satellite finit par cesser de fonctionner et devient un déchet. Et, ces déchets peuvent heurter un satellite important à tout moment, interrompant ainsi une connexion dont l'humanité dépend. Et, d’un point de vue environnemental, tout comme pour la protection de la terre, des océans et de l'air, nous voulons protéger l'espace en tant qu'écosystème supplémentaire afin que nous puissions en profiter pour de nombreuses générations à venir. »

Mais, il n’est pas le seul, une équipe de recherche du CNRS développe, également, un programme informatique pour calculer en temps réel le risque de collision entre un satellite et un débris en orbite.

Des solutions existent pour lutter contre la pollution spatiale telle la réduction du nombre de lancements de fusées, la récupération des satellites ou encore le développement de technologies de débris capture.

Plusieurs agences spatiales et entreprises privées ont lancé des initiatives pour atténuer ce problème. Ainsi, à l’ESA, Christina Albach, directrice de l'Agence spatiale européenne confirme : « L'ESA est engagée dans la lutte contre la pollution spatiale. Nous développons des technologies pour retirer les débris spatiaux de l'orbite, afin de garantir la sécurité des activités spatiales." L’agence a par exemple proposé des missions telles qu'ADRIOS, visant à retirer les débris spatiaux de l'orbite.


ESA Clean Space - De-Orbiting Kit

Des entreprises comme Astroscale développent des technologies de nettoyage de l'espace, tandis que des initiatives telles que la mise en place de normes pour la conception de satellites « plus propres » et de durées de vie orbitales limitées sont encouragées. Un « satellite éboueur » développé par AIRBUS du nom de RemoveDebris, a aussi été lancé en 2018. Son objectif : déployer un filet pour capturer des débris en orbite. Une opération financée par la Commission européenne et qui a permis de capturer un débris en orbite à 300 kilomètres d’altitude. Ou encore le robot Clear Space, en phase de test, pour tenter de ramener les déchets assez proches de l’atmosphère afin qu’ils se détruisent naturellement. Mais ce dispositif coûte des millions et n’est pas approuvé par tous les pays.

Le problème est tel, que l’initiative « Net Zero Space », a vu le jour lors du Forum de Paris sur la paix, en 2021. « Une plateforme multipartite qui vise à parvenir à une utilisation durable de l’espace extra-atmosphérique d’ici à 2030 en prenant des mesures concrètes pour limiter la production de nouveaux débris orbitaux et remédier les débris existants », explique-t-on sur le site du Forum.

Au total, ce sont 64 acteurs de 24 pays différents qui ont adhéré à ce dispositif et se sont engagés à prendre des mesures urgentes, pour atténuer la création de nouveaux débris et remédier à ceux existants. Chaque année, plusieurs groupes de travail prennent donc place pour inscrire les orientations et gros chantiers du Forum de Paris.

Quant aux lanceurs, ils sont de plus en plus nombreux à être éliminés en toute sécurité. Depuis dix ans, entre 40 et 80% des lanceurs qui se trouvent sur une orbite terrestre basse non conforme ont essayé de se conformer aux mesures d’atténuation des débris. Au total, 30 à 70% des lanceurs naturellement non conformes ont réussi à évacuer l’orbite terrestre basse.

De tous les lanceurs qui ont décollé durant la décennie qui s’achève, 60 à 80% (en termes de masse), ont respecté les mesures d’atténuation. Certains lanceurs sont sur des orbites basses terrestres sur lesquelles ils rentreraient naturellement dans l’atmosphère terrestre après quelques années, mais une quantité significative de lanceurs sont dirigés directement vers l’atmosphère terrestre pour s’y désintégrer, ou effectuent une rentrée contrôlée au-dessus de zones non habitées. Ces pratiques sont en hausse, et depuis 2017, environ 30% de lanceurs effectuent une rentrée contrôlée en toute sécurité.

Les enjeux sur Terre en termes de pollution sont énormes

Lorsqu’un déchet entre en collision avec un satellite et le détruit, c’est tout un processus qui est anéanti et qui peut bousculer notre quotidien sur terre. « On peut parler de dépotoir dans l’espace. Depuis 40 ans, les pays tentent tout de même de se responsabiliser. Chacun est conscient que la gestion des déchets spatiaux est un défi pour l’avenir, précise Jacques Arnould. « L’espace est à usage et régulation commune. Il n’y a pas de propriété privée. Le risque de se fermer la porte à l’espace est réel et n’est pas à minimiser. »

« Le premier responsable en cas d’amende reste la société. Si elle venait à ne pas payer l’amende, ce serait à l’État de la prendre en charge, par le principe de responsabilité des États. Il existe un droit spatial, mais il n’est pas toujours facile de le faire appliquer car il n’y a pas de police de l’espace, ni de traités internationaux contraignants sur les débris », détaille Jacques Arnould, également auteur du livre L’espace n’est pas un dépotoir ! Publié le 7 juillet 2023 aux éditions L’Harmattan.

« Les grands défis de l’avenir, c’est surtout d’intensifier notre prise de conscience sur l’enjeu des débris spatiaux » explique-t ’il. « Pour cela il faut de la coopération, de l’échange de données et une action commune. Il n’est pas trop tard, mais il est largement temps de s’emparer de la question, pour se laisser un futur le plus ouvert possible. »

Face à la multiplication des acteurs privés opérant dans l’espace, la question des débris spatiaux préoccupe également le régulateur aérien américain (FAA). L’agence a récemment annoncé vouloir imposer à toutes les sociétés privées faisant décoller des fusées d’avoir une solution pour se débarrasser de l’étage supérieur de leur lanceur - par exemple en le faisant revenir dans l’atmosphère terrestre, ou en le plaçant sur une orbite l’éloignant de la Terre.

Cette nouvelle réglementation, qui doit encore être adoptée définitivement, existe déjà pour les missions spatiales gouvernementales. « Si elle n’est pas contrôlée, l’accumulation de débris orbitaux augmentera le risque de collisions et encombrera des orbites utilisées pour les vols spatiaux humains et les satellites », avait déclaré mi-septembre la FAA dans un communiqué.

Depuis le début de la conquête spatiale, il y a plus de 60 ans, des millions de débris spatiaux se sont accumulés en orbite autour de la Terre. Ces débris, qui comprennent des fragments de fusées, de satellites, d'outils et d'équipements spatiaux, constituent une menace croissante pour les activités spatiales.

Alors que les initiatives pour nettoyer l'espace se multiplient, il reste crucial de sensibiliser à ce problème et de développer des technologies et des politiques pour prévenir l'accumulation future de débris. La survie de nos activités spatiales et la protection de notre environnement terrestre en dépendent.


 

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