Cimetières d'avions : comment donner une seconde vie aux géants du ciel ? © La base aérienne de Davis-Monthan, située à la périphérie de Tucson, en Arizona, aux États-Unis, porte un surnom inhabituel. Connue sous le nom tristement célèbre de

Cimetières d'avions : comment donner une seconde vie aux géants du ciel ?


Sabine Ortega
| 27/02/2024 | 3401 mots | AEROCONTACT | MAINTENANCE / MRO

Mardi 31 janvier 2023 Boeing livrait le dernier exemplaire de son célèbre 747. Même s’il doit encore voler pendant quelques décennies, sa disparition annoncée met en lumière le sujet de la fin de vie des avions qui, après avoir sillonné le ciel, sont stockés au sol dans de véritables « cimetières », où ils sont souvent démantelés.

Nous avons tous en tête ces images surréalistes d’immenses zones désertiques où s’étendent des carcasses d’avions à perte de vue. Des déserts, comme ceux dans le sud-ouest des États-Unis, propices à cause de la taille des aéronefs stockés, très vastes et du climat sec qui réduit considérablement le risque de corrosion et rallonge donc la durée de vie des composants et ainsi le temps de stockage possible.

Cependant, ces dernières années, le recyclage de ces carcasses devient possible, et deviendra une solution viable pour vider les cimetières actuels. Ainsi, les avions qui pour le moment étaient dans les cimetières pour une durée indéterminée, verront la porte de sortie en pièces détachées.

Avec la démocratisation de la pratique du recyclage et le développement de technologies pour parvenir à ces fins, le nombre de cimetières d’avions cessera d’augmenter dans un premier temps, puis va fortement réduire car la capacité de recyclage sera supérieure au nombre d’avions finissant leur service. Ainsi les zones qui servent uniquement au stockage de ces appareils vont disparaitre, laissant peu à peu place à des lieux où les appareils seront en attente d’une deuxième vie. Ainsi il existera toujours de grandes zones désertiques remplies de vieux aéronefs, mais ces derniers y seront entreposé pour une durée limitée avant d’être recyclés. En voici les plus impressionnants.

Est-ce la fin des cimetières d’avions ?

Davis-Monthan Air Force Boneyard : Groupe de maintenance et de régénération aérospatiale (AMARG)

Le meilleur exemple est le « Boneyard », dans l’Arizona aux États-Unis, qui est le plus grand cimetière d’aéronefs militaires du monde. Là, sur 1 100 hectares, des centaines d'avions vert camouflage reposent sur la terre ocre du désert, des cohortes d'appareils hors d'usages et de prototypes, allant de l'avion de chasse aux transporteurs géants comme le C5-A Galaxy (plus grand avion-cargo militaire au monde), attendent de connaître leur sort sous le soleil aride d'Arizona.


Davis-Monthan Air Force Boneyard (AMARG), Arizona, États-Unis

En effet, avec la fin de la Seconde Guerre mondiale et la victoire assurée sur le Japon et l’Allemagne, les États-Unis se sont retrouvés avec un stock important d’avions, au nombre d’environ 65 000, principalement des B-29 et C-47. Ceux-ci ont été temporairement stockés puis éliminés sur 30 aérodromes, les plus grandes concentrations se trouvant dans sept dépôts majeurs tels que l'aérodrome de l'armée de Kingman en Arizona et l'aérodrome de l'armée de Walnut Ridge en Arkansas.

Ceux qui n'étaient pas utilisés pour des activités civiles ont été mis au rebut et leurs composants métalliques fondus puis vendus.

La faible humidité de la zone, comprise entre 10 et 20 %, les maigres précipitations de 11" par an, son altitude élevée de 750 mètres et son sol dur et alcalin, qui évite les affaissements et permet de déplacer les avions facilement, en ont fait le candidat idéal.  Dans ce site, le « 309th Aerospace Maintenance and Regeneration Group » qui s'étend aujourd'hui sur 10 km2 les aéronefs sont naturellement préservés en vue d'une cannibalisation ou d'une éventuelle réutilisation.

Certains appareils militaires sont stockés ici pour des opérations de maintenance, d’autres ont fini leur vie et attendent d’être démantelés, avant que leurs pièces soient vendues ou réutilisées.

Surnommé « The Boneyard » - le cimetière - le lieu accueillerait la deuxième plus grande flotte militaire au monde, avec 4000 appareils.

Procédures de traitement des avions AMARG

A leur arrivée, les 50 avions militaires mis au rebut en moyenne chaque année aux Etats-Unis sont nettoyés, recouverts de bâches et d'une peinture blanche réfléchissante, puis parqués par modèle. Les plus modernes sont démantelés afin de récupérer des composants qui serviront de pièces de rechange pour les avions en service. Avant de leur offrir une deuxième vie, elles sont inspectées minutieusement à l'aide d'une lumière fluorescente qui permet de révéler d'éventuelles microfissures. Le reste des carcasses est ensuite découpé sur place et vendu à des ferrailleurs privés installés autour de la base. En moyenne, un appareil qui échoue au Boneyard reste parqué une dizaine d'années.  


Davis-Monthan Air Force Boneyard (AMARG), Arizona, États-Unis

Lorsque les avions arrivent à l'AMARG, ils le font par la "branche d'accueil". Chaque avion apporte avec lui tout son historique de documentation, y compris les actions de maintenance au cours de ses années de service.

Tous les avions entreposés sont traités comme suit :

Toutes les armes, les charges pour sièges éjectables et le matériel classifié sont retirés, ainsi que les horloges et les plaques signalétiques.

Chaque avion est lavé à son arrivée. Le lavage est particulièrement important pour les avions ayant servi à bord de porte-avions ou dans des régions tropicales où ils ont été soumis aux effets corrosifs de l'air chaud et salé.

Le système de carburant est protégé en le vidant, en le remplissant d'huile légère, puis en le vidant à nouveau, laissant un film d'huile protecteur.

L'avion est protégé de la poussière, de la lumière du soleil et des températures élevées. Cela se fait à l'aide d'une variété de matériaux, allant du « spraylat » (un composé plastique vinylique blanc et opaque de haute technologie pulvérisé sur l'avion) aux simples sacs poubelles. Avec le revêtement blanc, les températures intérieures resteront généralement inférieures à 15 degrés de la température de l’air ambiant extérieur.

L'avion est remorqué par un remorqueur jusqu'à sa position de « stockage » désignée.

Les commandes de pièces de rechange sont reçues par AMARG sur un formulaire 44. Il documente la base/unité demandeuse, sa priorité, si elle prend en charge une mission de combat, la classification, les exigences de traitement spécial, les substitutions acceptables et d'autres informations.

Types d'inventaire d'aéronefs utilisés par AMARG

Type 1000 - avion à AMARG pour stockage à long terme, à maintenir jusqu'à son rappel au service actif. Ces avions sont « inviolables » : ils ont un fort potentiel de retour au statut de vol et aucune pièce ne peut en être retirée. Ces avions sont « réservés » tous les quatre ans.

Type 1500 - avion auparavant entièrement conservé.

Type 2000 - avions disponibles pour la récupération des pièces, comme « bacs de stockage d'avions » pour les pièces, pour permettre aux autres avions de voler.

Type 3000 - aéronefs « en soute volante » maintenus dans un état proche du vol dans un stockage temporaire à court terme ; en attente de transfert vers une autre unité, de vente dans un autre pays ou de reclassement vers les trois autres types.

Type 4000 - avions dépassant les besoins du DoD - ceux-ci ont été vidés et chaque pièce utilisable a été récupérée. Ils seront vendus, décomposés en ferraille, fondus en lingots et recyclés.

Aux États-Unis, d’autres sites servent ainsi de cimetière. C’est le cas, par exemple, de l’aéroport Pinal Airpark près de Tucson, encore, du Centre aérien de Roswell au Nouveau-Mexique ou de l’aéroport logistique de la Californie du sud de Victorville.


Aéroport Pinal Airpark, Arizona, États-Unis
 

Centre aérien de Roswell, Nouveau-Mexique, États-Unis

Des sites comme ceux-là, il y en a aussi en dehors des États-Unis : à Alice Springs en Australie ou encore à Teruel, en Espagne, par exemple.

Le site de Tarbes en France

En France, l’entreprise Tarmac Aerosave, spécialisée dans la déconstruction et le stockage de ces avions, dispose notamment d’un site à Tarbes dans les Hautes-Pyrénées. Mais ce n’est pas un cimetière, assurait Arthur Rondeau, responsable de projet pour le service démantèlement de la société, en février 2021 à l’Agence France-Presse (AFP) : « On a souvent l’image d’avions entassés et laissés à l’abandon dans des déserts aux États-Unis qui peuvent s’apparenter à des cimetières. Ici, on va traiter l’avion du début jusqu’à la fin pour le valoriser au maximum. »


Tarmac Aerosave - Tarbes, France

Installée à Tarbes depuis 2007, à Teruel en Espagne depuis 2013 sur 80 hectares et à Toulouse-Francazal en 2017, TARMAC Aerosave possède la plus grande capacité de stockage d'avions et de moteurs en Europe. Ses trois sites peuvent accueillir plus de 280 avions, et l'entreprise est spécialisée dans la maintenance, la transition et le recyclage d'avions, couvrant les principales plateformes commerciales telles qu'Airbus, Boeing et ATR. Un atelier moteurs dédié prend en charge les CFM56 et LEAP pour le stockage, la transition, le démantèlement et la maintenance.

Fin 2023, TARMAC Aerosave avait déjà accueilli 1 485 avions, relivré 1 052 et démantelé 370 avions ainsi que 205 moteurs.

Quand les avions franchissent le portail de Tarmac Aerosave à Tarbes, ils viennent se faire déconstruire dans un hangar géant de 8 000 m2 capable d’accueillir un A380. Cet hangar couvert possède 20 emplacements d'avions pour le stockage ; le site repose sur 30 hectares d'aire de déconstruction et de tri et on estime que 6 400 avions en fin de vie y seront démantelés d'ici vingt ans. Le site de Tarbes représente aussi 70 emplois créés d'ici trois à cinq ans.


Tarmac Aerosave - Tarbes, France

Airbus et ses partenaires ont mis en place une filière unique en Europe permettant de recycler 90 % de la masse d'un avion. L'avionneur s'est associé à Safran, fabricant de moteurs d'avions, à Sita, filiale du Suez Environnement et à deux PME régionales -Equip'Aero et Aeroconseil- pour maîtriser toute la chaîne de recyclage.  Il faut au total deux mois et demi pour désosser complètement un avion.

Après avoir vidangé tous les fluides de l'avion (kérosène, huile, eau…), la première étape consiste à récupérer tout ce qui vaut encore quelque chose car la vente des tonnes de ferrailles couvre à peine les frais de récupération de l'aluminium, du titane, du cuivre… Les douze opérateurs embauchés récupèrent donc en premier les sièges, les équipements électroniques, les instruments d'avionique, etc. Ils seront envoyés dans un centre d'entretien pour être remis à niveau et revendu comme pièces détachées d'occasion. L'avion est ensuite débarrassé de toutes ces mousses, isolants avant d'être tracté sur les parkings extérieurs pour être découpé en tranches.

C'est une scie à câble diamantée qui est chargée de trancher la carlingue. Ultra-résistante, elle coûte aussi très cher : le mètre de câble s'affiche à 300 € sachant que deux longueurs (25 ou 50 mètres). « Nous utilisons un câble par avion car il s'use très rapidement ». Une fois tranchées, les parties de l'avion sont triées et envoyés dans les filières de traitement des déchets.

Le plus grand parking d’avions d’Europe se trouve en Espagne

Avec ses 340 hectares, le site de stockage de Teruel, situé dans la région de Aragon en Espagne, est le plus grand parking d’avions d'Europe. Surnommée « l’aéroport sans passagers », cette vaste zone peut accueillir des centaines d’avions. Et cet espace ne se résume pas qu’à l’entreposage.

Initialement construit comme une base aérienne militaire dans les années 1930, l’aéroport de Teruel a connu une transformation radicale au cours des dernières années. Aujourd’hui, il s’est positionné comme un centre logistique de premier plan pour la maintenance, le stockage et le recyclage des avions.


Teruel, Espagne

Sa situation géographique stratégique, loin des zones urbaines surpeuplées, en fait un endroit idéal pour stocker temporairement ou mettre hors service des aéronefs. Le climat sec et aride de Teruel, situé à 1 000 m d’altitude, est un autre avantage pour les avions stockés sur place.

Alors qu’une centaine d’avions patientent sur son tarmac, le large entrepôt à ciel ouvert peut accueillir jusqu’à 250 avions positionnés les uns à côté des autres.

Le site de Teruel n'est pourtant pas qu’un simple espace de stockage d’aéronefs. Le lieu est aussi une grande zone de maintenance et de démantèlement. Entre un hall spécialisé pour la peinture ou une aire de déconstruction, l'endroit est propice aussi à différents travaux sur les appareils.

L’avantage d’un tel lieu réside surtout dans sa piste d'atterrissage. Longue de 2 825 mètres, elle permet en effet d'accueillir différents gabarits d'avions. Ainsi, un imposant Airbus A380 tout comme un maniable A318, peuvent se poser en toute sécurité.

Un lieu stratégique durant les confinements

En 2020 après les différentes vagues de contamination de la Covid-19 et l'arrêt temporaire des vols, le site de Teruel et sa large zone d’entreposage ont été pris d’assaut. Plusieurs grandes compagnies européennes ont stocké leurs appareils en attendant la fin des confinements. Avec un coût de stationnement relativement moins cher que dans la plupart des aéroports, le site a permis à plusieurs compagnies de réduire leurs budgets. Il s’est même retrouvé en surcharge face à la forte demande.

Teruel reste le plus grand site de stockage d’avion d'Europe mais à l’échelle mondiale il est largement devancé par celui de Tucson, aux Etats-Unis. Il est encore trois fois plus petit que son homologue américain qui s'étend sur plus de 1100 hectares.

En plus du stockage, l’aéroport de Teruel propose également des services de maintenance, de réparation et de révision des avions. Des entreprises spécialisées opèrent sur le site, offrant une expertise technique et des installations modernes pour prendre soin des avions.

Outre sa vocation commerciale, l’aéroport de Teruel est également devenu un lieu prisé pour les passionnés d’aviation et les touristes. Des visites guidées sont organisées pour découvrir l’envers du décor de ce gigantesque parking d’avions. Les visiteurs peuvent observer de près des avions de différentes époques et en apprendre davantage sur l’histoire de l’aviation et le processus de stockage des aéronefs.

Enfin, l’aéroport de Teruel joue un rôle crucial dans le secteur du recyclage aéronautique. Là-bas, les avions en fin de vie sont démantelés de manière respectueuse de l’environnement, permettant la récupération de matériaux précieux et la gestion responsable des déchets. Cette approche contribue à réduire l’impact environnemental de l’industrie de l’aviation et à favoriser une économie circulaire.


Musée de l'Air et de l'espace, Le Bourget, France

Mais tous les avions ne finissent pas leur vie dans ces « cimetières ». Certains sont par exemple visibles sur les pistes de certains aéroports, ou exposés dans des musées. C’est le cas par exemple de plusieurs Concorde, les anciens avions supersoniques d’Air France et de British Airways qui ne volent plus et dont le premier, le 001, est aujourd’hui à l’abri dans un hall, spécialement construit pour lui, au musée de l’Air et de l’espace, au Bourget, près de Paris. Le musée de Sinsheim, en Allemagne expose le Concorde 207 au côté de son grand rival, le Tupolev TU-144. Cet avion soviétique construit à 16 exemplaires entre 1972 et 1985. Il avait été au cœur d’une polémique entre les Occidentaux et les Russes, les premiers accusant les seconds d’espionnage industriel.

Musée de Sinsheim, Allemagne

 

Même thématique


Innovation : Safran en tête du classement des détenteurs de brevets en France

 Safran se hisse sur le podium des entreprises préférées des écoles d’ingénieurs

Le RACER d'Airbus Helicopters a décollé à Marignane

Newsletter d'actualités aéronautiques

Recevez toute l'actu aéronautique directement dans votre boîte mail

Lire aussi


Safran signe un contrat majeur de maintenance avec Turkish Technic

Sabena technics s'apprête à prendre possession de son premier hélicoptère H160 pour la Douane française

Ajusteur monteur aéronautique : plus de 6000 postes à pourvoir dans l'industrie aéronautique française en 2023 !