Qui est Béatrice Vialle, la première femme française à avoir piloté le Concorde ? © Béatrice Vialle, seule femme pilote du Concorde chez Air France

Qui est Béatrice Vialle, la première femme française à avoir piloté le Concorde ?


Sabine Ortega
| 13/03/2024 | 2255 mots | AEROCONTACT | EMPLOI & CARRIÈRE

Béatrice Vialle est une des deux femmes au monde, avec la Britannique Barbara Harmer, à avoir piloté le Concorde et la première femme française à avoir piloté un avion de ligne supersonique, avec lequel elle aura effectué 35 allers-retours Paris - New York.  À son actif, on peut compter sur 15 000 heures de vol sur gros appareils et 260 heures sur « le bel oiseau blanc ». 

Béatrice Vialle a rejoint Air France en 1985, débutant sa carrière sur des appareils tels que le 727 et l'A320, avant de passer au 747 classique. Sa décision de rester copilote, afin de concilier vie professionnelle et familiale, lui ouvre les portes du Concorde, un tournant décisif dans sa carrière. 

L'histoire de Béatrice Vialle est une source d'inspiration pour les générations actuelles et futures de pilotes. Dans un entretien captivant avec le musée de l’Air et de l'Espace - Le Bourget, elle partage son parcours exceptionnel et sa passion pour l'aviation supersonique. Portrait d’une pionnière aux commandes d'un mythe.

Un parcours comme une évidence

Née le 4 août 1961 à Bourges, Béatrice Vialle est la fille d'un officier de l'Armée de terre et d'une mère au foyer. Elle est la cadette d'une fratrie de cinq enfants. La famille vit à Paris, Djibouti puis Soissons où elle obtient son baccalauréat scientifique.

Pourtant, Béatrice n'a jamais rêvé de devenir pilote. Elle dira elle-même d'ailleurs que rien ne la prédisposait à devenir pilote car dans sa famille, personne ne travaillait dans l’aéronautique. Ce qui était sûr c'est qu'elle ne voulait pas devenir ingénieur, ni travailler derrière un bureau.

Sportive, elle se voyait prof de gym. Son professeur d'EPS l'en dissuade et lui dit d'essayer d'abord avec la tête, elle qui est douée en mathématiques.

En math spé. au lycée Fénelon à Paris, elle entend parler du concours de l'École Nationale de l’Aviation Civile, ouvert depuis cinq ans aux femmes. « Un hasard. » dira-t-elle.  C’était l’année 1980.

Elle a 19 ans et enchaîne les quatre années de pilote de ligne professionnel. Elle découvre d’abord les joies de l’aviation légère et n’en est qu’à son baptême de l’air en monomoteur quand d’autres de ses camarades possèdent déjà leur brevet de pilote privé. Sur 34 élèves, elles ne sont que 3 filles. Diplômée en 1984 de l'ENAC, Béatrice Vialle est à l'époque la dixième femme en France à décrocher son brevet de pilote de ligne.

En 1990, elle rencontre son mari Jean-Louis Chatelain, commandant de bord sur 747, qui sera également pilote sur Concorde, avec lequel ils auront deux enfants nés en 1994 et en 1997.

À l’issue de ces études, elle prend un poste de professeur de mathématiques et de physique à défaut de concours de recrutement à Air France. Mais peu après, en 1984, Air Littoral recrute et la sélectionne. Ainsi, à 23 ans, elle devient la 1ère femme pilote sur Embraer Bandeirante dans cette compagnie. Souvent, alors qu’il n'y avait guère d'hôtesse à bord de son petit dix-huit places, elle et le commandant de bord se tournaient pour accueillir les passagers au pied de l’avion, pour les faire monter et leur offrir des bonbons...Aime-t-elle se rappeler avec malice.  Belle femme, certains passagers lui proposant même de lui garder une place à l'arrière alors qu'elle leur répondait que la sienne était à l'avant. 

Puis, elle intègre Air France en 1985 où elle vole, en tant que copilote, sur Boeing 727. Elle aime ce pilotage qui requiert un effort physique alors qu’elle appréciera beaucoup moins les commandes trop informatisées de l’Airbus A320 où elle est désignée d’office en 1989.

Elle est, à l’époque, la dixième femme pilote d'Air France sur les 3000 que compte la compagnie.  Parfois, les passagers la prenaient pour une hôtesse. Ce qui ne la choquait pas, elle avait l’habitude. Sur Concorde, forcément, il y en a qui vont lui demander si elle est « l'assistante ».

Pour gérer la mixité à bord, Air France avait dû mettre en place des sessions de management spécifiques sur les manières de se comporter lorsque le commandant ou le co-pilote était une femme car cela n'était pas évident à bord, certains co-pilotes plus âgés ou d’anciens militaires passant par le mécanicien navigant pour ne pas s'adresser à elle.

En 1990, elle passe sur Boeing 747-200 dont le tableau de bord et le manche traditionnel lui donnent davantage la sensation d’arracher le lourd avion du sol. Sa nature sportive (tennis, golf, ski nautique…) lui permet de garder son équilibre face aux exigences de son métier : concentration, maîtrise et réflexes infaillibles. Elle passe ainsi 11 ans aux commandes du Boeing 747.

En 1994, alors qu’elle est toujours copilote sur Boeing 747 à Air France, la compagnie veut la nommer commandant de bord, le grade supérieur.  Elle refuse, enceinte , elle choisira de travailler à mi-temps pour s’occuper d’eux . Puis, elle continue de progresser sur la « liste de séniorité » des pilotes, jusqu'à arriver en tête.

Enfin, en 1999, c'est à elle que l'on propose de voler sur Concorde. « Si j'étais passée commandant de bord, j'aurais perdu le bénéfice de mon ancienneté. C'était un bon pari, mais beaucoup d'hommes ne l'auraient pas fait. Pour eux, c'est plus important d'être chef. »

Le bel oiseau blanc

En mai 2000, Béatrice démarre les exercices sur simulateur. Censée pouvoir remplacer le mécanicien au pied levé, elle doit connaître le moindre circuit du supersonique « cette qualification est beaucoup plus longue que sur un avion classique parce qu'il y a trois domaines à apprendre : le domaine subsonique, puisque cet avion fonctionne très bien en subsonique, le domaine transsonique, et le domaine supersonique.  La somme de travail était telle que j'ai failli renoncer, je pensais ne pas y arriver. » Le 24 juillet 2000, pourtant, elle est reçue à l'examen après 170 h de vol sur simulateur.

Mais quelques heures plus tard, le 25 juillet 2000, le vol AF 4590 s'écrase sur l'Hotelissimo de Gonesse, mettant un dramatique coup d'arrêt à sa formation. Au sein de la compagnie, c’est la consternation, le drame, l’enquête et le certificat de navigabilité du bel oiseau blanc est suspendu sine die.

« Malheureusement, à cause de l'accident et évidemment de l'arrêt décidé des vols Concorde immédiatement après l'accident, notre qualification a été interrompue... il a fallu donc attendre que l'avion ait un certain nombre d'améliorations et de réparations faites sur tous les Concorde de la flotte pour qu'on puisse reprendre les vols. Pendant deux mois j'ai cru que je ne le piloterai jamais. C'était une période très dure, on était remués par nos copains disparus, on ne savait pas quoi penser. Mais je n'ai jamais ressorti mes bouquins du 747. J'étais déterminée, il fallait qu'il revole », dira-t-elle.

Clouée au sol, elle doit attendre près d'un an avant de pouvoir reprendre les commandes d'un Concorde : le « Fox-bravo » aujourd'hui exposé dans un musée allemand.

Le Concorde : Un Rêve Réalisé
L'accès au Concorde, basé sur la seniorité, a permis à Vialle de réaliser son rêve. Elle revient sur son premier vol Paris-New York le 19 novembre 2001, à bord du Sierra Delta, évoquant les spécificités et les défis de piloter cet avion mythique.

Le 11 septembre 2001, elle effectue son premier vol hors-ligne, devenant ainsi l'une des deux femmes au monde pilotes de Concorde. « Lorsque j’ai effectué mon premier vol commercial jusqu’à New York, j’étais tellement concentrée que je n’ai pas pu en profiter. C’est seulement en débarquant, lorsque j’ai vu l’avion depuis la passerelle que j’ai réalisée : je viens d’arriver en Concorde ! », mais cet enthousiasme ne sera que de courte durée car lorsqu'elle ressort du cockpit, « débordée d'émotion », elle apprend l'attentat du World Trade Center.

Cependant, elle continue les vols d'essai, intensifs, dix atterrissages et décollages par demi-heure car il faut « être prêt ». « Personnellement, je n'ai jamais douté, ni après l'accident ni après le 11 septembre, que je ne ferai pas de Concorde... pour tous les pilotes à mon époque, Concorde ça nous fascinait et c'était quelque chose de magique. Je n'ai jamais ressenti d'angoisse. Avec les nouvelles mesures prises par Air France, la sécurité est maximale, on ne peut pas faire mieux. Mais le risque zéro n'existe pas, on l'a vu avec le crash du Queens.»

Finalement c'est le 19 novembre 2001 qu'elle effectue son premier vol commercial entre Paris et New York, à bord du Sierra Delta.  Béatrice Vialle effectuera en tout 35 allers et retours supersoniques et trois boucles sur l'Atlantique Nord avant l'arrêt définitif de la ligne.

Le Concorde représente plus qu'un simple appareil pour Béatrice : c'est le symbole d'une époque révolue de l'aviation, où la vitesse et l'innovation étaient au premier plan. Dans la vidéo, elle partage ses expériences et son admiration pour les performances et la conception unique de cet avion. « On était trois : le commandant de bord assis à gauche, le copilote à droite, et le mécanicien navigant qui était assis devant son énorme panneau... le commandant de bord était un peu le chef d'orchestre de l'équipage. Cet instrument-là, c'est un instrument qui est particulier au Concorde puisque aucun autre avion n'a un nez qui se baisse... cette commande est vraiment spécifique à cet avion. »

Ses sensations aux commandes du plus « bel oiseau ? C'est un avion très sensible, très fin, très agréable. Il faut comprendre, ce qu'on ressent avec lui, ça n'est comparable à rien d'autre. »  C'est un « rêve », une « fusée ». « C'était quand même, comment dire, une chance inouïe de pouvoir faire rien qu’un petit vol sur Concorde. » Conclut-elle.

En 2008, elle devient commandant de bord sur Boeing 747-400. Ainsi lorsque l’élégant Concorde se pose pour la dernière fois, le 31 mai 2003, Béatrice Vialle est aux commandes de ce « bijou de l’aviation » destiné dès lors à la légende.

L'histoire de Béatrice Vialle est une source d'inspiration pour les générations actuelles et futures de pilotes. Elle rappelle l'importance de poursuivre ses rêves avec détermination et passion, tout en soulignant l'héritage indélébile du Concorde dans l'histoire de l'aviation.


 

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