Le digital est-il juste une étape de plus dans la nouvelle révolution industrielle qui se déroule sous nos yeux depuis une petite dizaine d'années ? Pour Olivier Horaist, directeur industriel de Safran, le doute n'est pas permis : « le digital et les concepts de l'usine du futur permettent une vraie accélération des évolutions en cours. Quand j'ai commencé ma carrière, au début des années 80, c'était le démarrage des machines à commandes numériques. Aujourd'hui, nous assistons à une nouvelle rupture », lance le dirigeant.
Pour le groupe français, l'équation est simple : il déploie 32 000 salariés en production, dont la moitié dans ses usines françaises. « Pour préserver ce capital humain, il faut aller chercher de nouvelles solutions pour avoir toujours un coup d'avance. Car si nous appliquions les mêmes méthodes, par exemple sur la chaîne du moteur CFM56, que dans les années 80, nous serions morts », lance Olivier Horaist.
Mettant ses actes en accord avec ses paroles, Safran a lourdement investi dans la modernisation de son appareil productif : 800 millions d'euros par an ces dernières années. Le groupe a ainsi dépensé plus d'un milliard d'euros (sur plusieurs années) pour l'industrialisation du successeur du CFM56, le moteur Leap, notamment dans l'usine Safran Aircraft Engines de Villaroche. En implémentant de nouvelles méthodes, l'industriel a gagné en temps de cycle et en fiabilité, ce qui lui permet de répondre à l'énorme demande pour ces moteurs (plus de 12 200 Leap vendus depuis 2010). « Et sur la chaîne du CFM56, nous avons divisé par six la non-qualité », ajoute Olivier Horaist.
La branche Propulsion n'est pas, loin s'en faut, la seule concernée. Chez l'ex-Messier-Bugatti-Dowty, rebaptisé Safran Landing Systems, un nouveau système d'usinage a été mis en place en 2013, le « close door machining ». Il s'agit d'une ligne complète de fabrication constituée de machines autonomes capables d'enchaîner des phases d'usinage en continu avec le minimum d'intervention humaine. Ce procédé a été installé à Bidos (Pyrénées-Atlantiques), à Molsheim (Bas-Rhin) et dans l'usine de Mirabel-Montréal. Au final, grâce à cette organisation, les temps de cycle ont été divisés par deux, et même par 10 à Molsheim. Auparavant, il fallait 40 interventions humaines ; là, seules deux suffisent.
Automatisation et fabrication additive
A Bordes (64), dans l'usine principale de Safran Helicopters Engines (ex-Turbomeca), deux chantiers « usine du futur » ont été menés à bien : l'un a consisté à créer une ligne de fabrication de pales de turbine entièrement automatisée. Les machines y sont connectées entre elles, afin de diviser par deux les temps de cycle. Une quinzaine d'autres lignes seront ainsi modernisées dans les cinq prochaines années. L'autre chantier concerne la fabrication additive, qui a été introduite dès 2015 pour produire en série des pièces des moteurs Arrano et Ardiden 3, comme des injecteurs et des tourbillonneurs.
Ce genre de process d'impression 3D, qui monte en maturité industrielle, peut permettre de diviser par deux ou trois les cycles par rapport au procédé traditionnel d'usinage. Il n'est toutefois pas prévu à court terme chez Safran de créer une usine « groupe » de fabrication additive, faute pour l'instant de volumes suffisants. Mais à terme, qui sait ? Si par exemple un Leap 2 était lancé, la question se poserait sérieusement. Pour Olivier Horaist, l'utilisation de la fabrication additive en série n'a pas encore pris toute sa dimension : « la bascule se fera le jour où les moteurs seront conçus directement pour intégrer l'impression 3D dans leurs processus de production. »
Réalité virtuelle et augmentée
Chez Safran Nacelles, au Havre, c'est la réalité virtuelle qui entre en jeu. Une salle d'immersion en environnement 3D a été créée pour que les ingénieurs et techniciens puissent se former au montage, ou travailler sur l'ergonomie. « Aujourd'hui, l'ensemble des lignes A320neo et A330neo de Safran Nacelles sont en réalité virtuelle afin que les opérateurs fassent bien du premier coup », ajoute Olivier Horaist. Quant à la réalité augmentée (RA), on commence à en trouver à Villaroche, chez Safran Nacelles et Safran Electrical & Power, la branche câblages électriques du groupe. Ce système sert par exemple à repérer les anomalies de montage des câbles, ou à effectuer du contrôle non destructif des panneaux composites d'une nacelle. Pour renforcer ses compétences dans la RA, le groupe a d'ailleurs pris en septembre 2016 une participation minoritaire dans le capital de la start-up Diota, l'un des principaux éditeurs de logiciels de RA pour l'industrie, avec qui Safran travaillait déjà.
Roadmap à cinq ans
Le groupe ne va pas s'arrêter là. Pas moins d'une soixantaine de projets sont en cours de déploiement ou de réflexion sur les cinq prochaines années. Ils portent sur la réalité virtuelle et augmentée, la continuité numérique, la cobotique, l'intelligence artificielle, la simulation numérique, etc. La continuité numérique par exemple, est un gros enjeu, car elle permet d'utiliser la puissance du big data sur l'ensemble de la vie d'un produit. « C'est très utile pour effectuer de la MRO prédictive car on peut retracer plus finement la vie d'un composant, surtout dans un contexte où les contrats de soutien-service à long terme se multiplient », souligne Olivier Horaist.
Et l'homme dans tout cela ? « L'usine du futur et le digital n'ont pas forcément des conséquences négatives sur les compagnons. Au contraire lorsque l'on implante un cobot, cela retire des tâches ingrates et fatigantes et cela fait baisser le travail de nuit », argumente Olivier Horaist. Exemple, à l'usine de Colomiers (Haute-Garonne) de Safran Nacelles, sur la ligne de nacelles pour le moteur Silvercrest, un robot collaboratif (cobot) composé de deux potences mobiles et auto-équilibrées permet aux compagnons d'intégrer des composants de la nacelle sur le moteur sans effort. Pour le directeur industriel, il y aura toujours 32 000 emplois industriels dans le groupe, avec la même proportion entre France et étranger, mais les usines produiront plus de pièces...
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